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Matière première (2)

 L’horaire est insolite mais l’amuse. Ils se verront à midi.

Comme s’il lui revenait en mémoire la demande qu’elle a faite, il ajoute :

«  Ne vous inquiétez pas pour mon sexe, il est effectivement très doux. Je voudrais pouvoir durer en vous. Mais je ne sais …Je crains de ne pas être à la hauteur et de pas vous apporter ce que vous attendez.  Quoi qu’il en soit, je respecterai toutes vos doléances car il m’importe beaucoup que vous soyez satisfaite. J’ai le profond désir que vous contenter. »

Le rendez-vous est proche. Elle se sent frémissante quand elle réserve l’hôtel.

 Il l’appelle à une heure convenue, puisqu’elle ne peut le joindre. Il l’a avertie :

« J’ai voulu avoir votre numéro pour garder un avantage sur vous : je peux vous joindre quand bon me semble. Quant au mien, vous ne l’aurez qu’après notre rencontre. De toute manière, je suis un inconnu pour vous : vous ne pouvez me joindre »

Dont acte. Elle est heureuse quand elle découvre sa voix jeune et assez ferme. Il se dit content de l’entendre, de faire plus ample connaissance. Ses paroles sont moins sophistiquées que ses mots. Moins précises aussi.

Au scénario, il va, lui dit-il, ajouter quelques détails. Mais il ne lui en dit rien ; il préfère qu’elle les lisent. Pour le reste, il est rieur. Elle se montre expansive. Ils se saluent.

Elle retourne à son ordinateur.

«  J’ai un avantage sur vous, maintenant. Vous me manifestez une telle confiance ! N’oubliez pas d’arriver à l’hôtel avant moi ! Payez la chambre, installez-vous sur le bord du lit et mettez le bandeau. Soyez surtout très légèrement vêtue. Si vous avez des jouets intimes, énumérez-les. Et surtout, apportez-les. Ils seront bienvenus. Aimez-vous les jeux anaux ? » 

Elle aime quoi qu’il en soit tout ce qu’il fera. Et le lui dit.

Il propose qu’elle arrive accoutrée n’importe comment et trop maquillée, pour que ceux qui la croiseront sachent à qui ils ont affaire.

« Vous vous exposerez aux regards des passants puis des gérants de l’hôtel. Ceux-ci devront se dire que vous êtes une femme de mœurs légères. J’ai bien conscience des problèmes que cela peut engendrer mais ma proposition est recevable. »

Des vêtements voyants, trop ajustés, des jambes nues. Des sous-vêtements absents. Elle doit apparaître comme une femme « qui veut se donner » mais elle ne s’y résout pas et le lui dit. C’est un scénario pour elle excessif, superflu.

Non, elle viendra sans artifices. Elle sera vêtue comme elle l’est d’habitude, avec une certaine élégance.  Fardée sans excès et parfumée. Rien de plus.

Il ne la contraint pas. Il comprend.

L’heure approche. Elle prend sa voiture.

Elle connaît déjà les lieux. Hôtel modeste. Couleurs criardes dans le hall, les couloirs, l’escalier. Présentation obligatoire d’une pièce d’identité. La chambre est au deuxième étage. Elle est petite mais lumineuse et bien ventilée.

Elle enlève sa veste, sa jupe brune, le collier et les boucles d’oreille qu’elle a choisis ce jour-là. Elle garde un corsage et des sous-vêtements noirs. Naïvement, elle vérifie ses odeurs. Sa peau en dégage une un peu sucrée qu’elle découvre en léchant son bras. Son sexe a un parfum attirant. Tout son corps dégage de discrets effluves. C’est un souvenir de l’ordonnateur. Il lui a toujours demandé d’arriver chez lui fraiche et odorante.

Elle se bande les yeux. Ce simple geste l’excite et l’effraie. Il est nouveau. Cette étoffe qu’elle noue. Ce bruissement. Elle s’efforce de respirer lentement et se souvient de ce qu’il a dit sur l’infantilisation. Elle n’a plus son âge et sent infiniment plus jeune et vulnérable.

Elle écarte légèrement les cuisses. Elle suinte.

 Elle attend. Il va venir.

Il la prévient par téléphone.

« Prête ».

Oui, elle l’est. Elle l’entend ouvrir la porte et, quand il entre, elle perd toute contenance. Elle dit :

« Alors c’est vous…vous ne me ferez pas de mal, n’est-ce pas ? »

Il  l’observe en silence avant de répondre, comme s’il la décryptait :

« Non »

Puis, il met le scénario en place.

«  Ne bougez pas ».

Il lui écarte d’emblée un peu plus les cuisses. Il s’agenouille et s’avance vers elle. Elle sent son haleine dans son cou. Ses seins se tendent. Elle secoue la tête pour signifier un mélange d’acceptation et de refus. Il n’en a cure. Il caresse avec méthode. Les hanches, la peau de ventre, la poitrine encore emprisonnée, les épaules. Il lui enlève son corsage. Il a les mains fines et les gestes adroits.

Elle gémit.

« Je n’ai pas de jouets »

Il la rassure. Ce n’est pas grave.

Il avance maintenant une main entre ses cuisses et la palpe à travers son sous-vêtement. Approche douce et têtue, qu’elle aime. Elle s’humidifie. Il insiste. Pressions répétées. Elle respire plus vite, cherche des mots qu’elle ne prononce pas pour lui dire que c’est bon.

« Levez-vous »

Elle obéit.

Il fait glisser sa culotte sur ses cuisses, la retire. Elle le sent excité. Son souffle est plus saccadé. Il l’ouvre d’un doigt et poursuit avec plusieurs. Elle est contente, le lui fait savoir. Il travaille en terrain conquis, accueillant et humide. Il enfonce bien, il masse.

Il s’interrompt pour se dénuder puis reprend ses caresses. Le plaisir annoncé est déjà là. Elle guette les bruits qu’il entraîne. Celui de son souffle bref, celui que sa main fait en massant son propre sexe car il a commencé à se masturber et ceux très furtifs qui viennent de l’enfoncement de sa main en elle.

Elle est frémissante.

Il est très tendu.

Le silence qui les environne les fait se tendre plus encore l’un vers l’autre.

« Vous allez vous allonger maintenant »

Elle le fait et il la rejoint mais pas tout de suite.

«  Vous voilà livrée à un parfait inconnu. Quelle sensation cela fait-il ? »

Elle le laisse s’allonger près d’elle et recommencer à lui palper les seins avant de répondre. Elle trouve cela étrange mais si effrayant. C’est le bandeau qui la déstabilise. Cet homme qui la voit et qu’elle ne voit pas…

Il lui retire son soutien-gorge. Elle est maintenant complètement nue. Il lui fait écarter les jambes et entreprend de la branler à nouveau. Son approche est plus incisive, plus volontaire. Il est technique. Mouvements d’enfoncement et de retrait, palpation de la partie la plus sensible, celle qui se renfle dans l’attente d’une satisfaction encore plus grande. Elle est très consciente de ce qu’il attend d’elle. Une jouissance longue, modulée qui sera la marque de sa victoire. Elle aura la récompense qu’elle mérite : le voir. 

Elle se cambre, elle s’ouvre le plus possible, se prête à son patient travail. Elle sent l’excitation monter, en reconnaît les paliers, s’approche de la limite qu’elle veut franchir.

«  Si mouillée maintenant… »

Elle murmure qu’il fait bien, qu’il doit poursuivre. Si doux avec elle.

Toute est tension entre eux. Il conduit le plaisir. Elle avance sa main pour toucher son membre dont la texture a bien la douceur dont il a parlé. Elle-aussi travaille à exciter mais ne peut le faire longtemps. Il est décidemment persuasif. Elle étouffe un gémissement, demande intérieurement à être libérée et l’est tout d’un coup parce qu’elle atteint l’orgasme. Il est profond mais en apparence discret si bien que le jeune homme la branle, tandis qu’elle jouit, avec une douce régularité qui augmente son contentement. Elle soupire à plusieurs reprises quand l’apaisement vient puis, d’un geste bref, elle retire le bandeau.

Le jeune ordonnateur a un visage effilé. Son regard est interrogateur :

«  Auriez-vous joui ? »

Elle ne peut s’empêcher de sourire :

« Mais oui »

Il dit ne pas avoir senti de contractions en elle, alors que les spasmes sont le signe de l’extrême plaisir.

Elle insiste :

« J’ai joui »

Il l’interroge pour savoir si elle déçue de son apparence. Elle se montre franche. Non. C’est plutôt la situation qui la trouble au point de lui emplir les yeux de larmes. Elles coulent au long de ses paupières. Elle est contente et mal à l’aise d’être là sans qu’elle puisse s’expliquer. Sans doute la confusion engendrée par ce rapide et préalable échange de lettres. Les définitions qu’il a su donner. Les réponses qu’elle a faites, inscrites dans sa  mémoire.

Ils parlent un peu.

Elle se calme, l’attire à elle, le caresse. En elle, il ne dure pas en elle, mais il n’y voit aucun sujet de critique.

Il semble qu’il ait un moment de faiblesse et doit se le reprocher intérieurement.

Il suffit de la faire s’allonger, de pencher son visage entre ses cuisses et de prendre dans sa bouche un membre qu’elle veut honorer. Elle travaille bien. Elle le sent durcir et insiste jusqu’à l’éjaculation. L’émission du sperme la ravit comme souvent. Elle en reçoit un peu dans sa bouche. Goût indéfinissable qu’elle retrouve toujours avec bonheur.

Quand le temps a fini de s’étirer et qu’elle le voit se rhabiller, elle pense à ce qu’elle lui a écrit :

« Nous serons contents »

Il lui paru interrogatif, à la lecture »

«  Pour quelles raisons le serions-nous ? »

Elle n’a su lui répondre, sur le moment mais tandis qu’ils se quittent, elle détient la réponse.

« Je caresse bien, vous verrez. Je sais lécher. Soyez doux avec vos doigts. Doux et prévenant ; Gardez-moi très mouillée. »

Et elle ajoute intérieurement.

«  Vos propositions auront été aussi délicieuses que les miennes ».

Ils se regardent assez longuement avant qu’il ne parte avant elle. Elle le voit vêtu tandis qu’elle est encore nue mais se sent secrètement victorieuse.

Elle en éprouve une joie vibrante que, plus tard, dans une lettre ou un texte, elle tentera de lui communiquer.

Enfin, après un temps pelotonné sur le lit, elle se prépare avec lenteur. Elle flâne.

Dehors, la rue bruisse à peine.