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Matière première (1)

Dans la rue, il avance d’un pas rapide. Sa silhouette est jeune. Il est tendu, en a conscience mais rien au fond, ne saurait l’arrêter. Il s’est fixé un but, vers lequel il tend, et même si celui-ci lui semble, à l’entrée de l’hôtel, un peu dérisoire, il n’y renoncerait pour rien au monde. Où du moins, le croit-il puisque ses attaches sont ailleurs. Sur le moment, elles lui paraissent moins tenaces.

Mais, c’est, à coup sûr, une illusion.

Il va vers elle. Il ne peut pas faire autrement. Cette femme qu’il a contactée, il a fallu la convaincre d’accepter une rencontre. De prime abord, tâche difficile. De fait, elle lui a présenté, au premier contact, une méfiance un peu hautaine qui l’a stimulé. Il a insisté en prévoyant les esquives. Chacun derrière son ordinateur a trouvé des feintes et des parades. Présents et invisibles l’un à l’autre, dans l’attente de messages croisés. Jusqu’à l’acceptation de ce rendez-vous.

Il se souvient.

Quand il s’est adressé à elle, il s’est montré méthodique. Beaucoup de questionnement et d’insistance. Il est comme ça. Scrupuleux. Attentif à ses mots. Se relire est indispensable. Dans ce cas, chaque interrogation a été pesée avec soin. Enjeu important. Il fallait, il fallait bien qu’elle accepte sa demande, se laisse convaincre.

A l’encontre, elle lui est apparue peu rigoureuse. Plutôt rêveuse et intuitive. Mais, elle ne s’est pas dérobée, ce qui est bien.

Il a pu lui parler de son désir de domination sans qu’elle sourcille vraiment. Il lui a demandé d’emblée de commander et de lui imposer son autorité. Il est un homme qui veut être à elle corps et âme, lui obéir aveuglément et être son objet de plaisir. Chacun de ses caprices sera bienvenu. Il se soumettra. Seulement, elle doit être forte. Ordonner, organiser.

Elle a répondu par la négative. Elle peut comprendre mais ce n’est pas ce qu’elle veut. Alors, il la fait parler.

Que veut-elle ?

C’est simple : un ordonnateur.

Un autre. Car le premier s’est soustrait à elle pour des motifs qui lui restent confus. Elle n’est pas contente mais ne se résigne pas. Sa requête est violente. Elle a faim de ce dont elle est privée. Elle veut un autre pourvoyeur.

Mais de quoi a-t-elle faim ?

De plaisir. Seulement, il faut qu’on le mette en place pour elle. Comme l’autre l’a fait. Il comprend bien, n’est-ce pas ? Elle ne parle pas de la satisfaction qu’un compagnon  durable peut donner mais de celle qui,  intense et inattendue, naît dans une pièce obscure où s’enlacent, se prennent et se déprennent différents partenaires qui partagent la  violence de l’instant et de l’envie. Parce que dans cette chambre, on passe d’un corps à l’autre, on murmure, on halète, on crie. Elle, tout au moins, dit avoir crié beaucoup.

Quand on s’apaise car on finit par le faire, on reste allongés en silence. C’est bon.

Le jeune homme a bien lu et bien compris.

Il devra donc ordonner. Pour la faire crier.

Il le fera. Qu’elle se rassure. Seulement, il viendra seul et ne pourra lui offrir ces plaisirs variés et intenses que procurent plusieurs hommes à la fois. « Hélas, écrit-il, je n’en connais pas que je pourrais entraîner ».

Elle tergiverse. Elle n’est pas encore désarmée.

« J’envisage une rencontre, dit-il, une rencontre sexuelle où peut-être chacun pourra apporter à l’autre ce qui lui manque ».

Elle avance que leurs désirs sont incompatibles et que les manques évoqués ne seront pas comblés. Décidemment non,  elle n’est pas sûre de vouloir venir.

Il insiste. Il argumente. La soumission est douce. Elle ne doit pas la redouter. Elle a des idées fausses qu’il faut corriger. Il s’y emploie :

« Ecoutez-moi, avance-t-il : lorsqu’on a un penchant dominant, c’est l’emprise que l’on a sur l’autre qui vous excite. Voir dans ses yeux une totale dévotion. Lorsqu’on a un penchant soumis, on adore être traité comme tel : l’infantilisation, l’humiliation plus ou moins forte procure des sensations fortes et, en matière sexuelle, un orgasme puissant. »

Elle retient son souffle, répond maladroitement et attend le message suivant. Quand il lui parvient, elle constate que les mots qui le composent continuent d’être beaux. La pensée s’est affinée.

« La soumission peut s’exercer de différentes manières et vous l’avez sûrement pratiquée inconsciemment. Quand on fait l’amour, on peut s’aventurer sur un chemin plein de charmes. L’excitation excluant la planification. Quoi qu’il en soit, c’est le soumis, qui en étant l’objet de toutes les attentions, est le grand gagnant à mon sens. »

Elle est émue.

Dirait-il vrai ? Avec l’ordonnateur, la soumission, au bout du compte, s’est révélée amère. A l’épreuve de force, si tant est qu’il en ait eu une, elle a perdu…Les rencontres dans la chambre fraiche se sont arrêtées du jour au lendemain. Rendez-vous postposés puis annulés, messages ironiques répondant à ses demandes réitérées. Faiblesse de son attitude annulant la beauté des rencontres, minimisant la force sexuelle qu’elle a pu afficher quand elle est allée de l’un à l’autre. Appels laissés sans réponse.

Elle a perdu la partie. Du moins l’a-t-elle cru jusqu’à maintenant. Mais ne lui dit- elle pas qu’elle a tort ?

Si c’est le cas, il a le droit d’être insistant. De fait, il l’est.

« Vous m’avez comprise, maintenant, n’est-ce pas, et nous ne saurions nous écrire ainsi plus longuement. Nous sommes assez grands. Nous ne pouvons davantage faire semblant. Vous le voyez, je suis direct. Que proposez-vous ? »

Il a l’habileté d’un jeune stratège.

N’écrit-il pas :

«  Je sais qu’en vous parlant ainsi, vous risquez de me rayer de votre carnet d’adresse mais je préfère être clair : vous donnez suite ou non. »

Alors, elle baisse sa garde.

Non, elle ne décline pas l’offre. Non, elle n’oublie pas son adresse.

Ce qu’elle veut ? Le voir. Un lieu intime à définir.

« Vous me demandez d’être directe, je vais l’être. Je voudrais savoir comment vous me caresseriez. A travers mes vêtements d’abord ou nue et préparée pour vous ? Aimeriez-vous me trouver allongée ? Que feriez-vous de vos doigts, de votre langue au moment de l’approche. Je suis amante et peux être raffinée. Je sais à quels effleurements vous seriez convié…Vous devez avoir une belle peau unie et à ce que vous m’en dites, un corps mince et fin. J’essaie de deviner comment est votre sexe et l’appréhension que je pourrais en avoir. La texture doit en être très douce même au moment de l’érection. J’essaierai de deviner quelles caresses vous aimeriez recevoir. J’ai hâte de connaître l’intromission de vos doigts, vos baisers, votre haleine. Durerez-vous longtemps en moi quand vous me prendrez ? Et comment me prendrez-vous ? « 

Elle envoie le message sans hésiter puis frémit.

 Il va reculer.

Quelques heures plus tard, elle le lit de nouveau.

« Vous aviez peur que je ne réponde pas ou plutôt il vous a traversé l’esprit qu’effrayé par vos propos je prenne peur et m’enfuie lâchement ? Je peux vous rassurer sur ce point : je réponds toujours car pour moi c’est une question de respect. Votre dernier message vous place en position de force, nous ne nous connaissons pas et vous avez le dessus, ce qui me va très bien ».

Elle continue de ne pas être sûre. Elle domine ?

Ce qui suit est anecdotique. Il faut bien, puisqu’ils se rencontrent, se donner rendez-lieu dans un lieu sur lequel ils tomberont d’accord. Elle propose un petit hôtel anodin, en centre ville, près de la mer. Ils s’y retrouveront.

Le jeune homme accepte l’idée mais redevient directif.

« Vous devrez, dit-il, suivre à la lettre ce que je vous propose. Pour une première rencontre, je vous imagine très légèrement vêtue, les yeux bandés, assise au milieu d’une chambre d’hôtel. Vous y êtes arrivée un peu avant moi et vous vous préparez à ma venue. Ensuite, j’entrerai, m’approcherai doucement de vous et vous préparerez. Vous sentirez tout d’abord mon souffle dans le creux de vos épaules, mes mains viendront effleurer votre poitrine, votre ventre, votre corps dans son ensemble et vous gémirez. Je laisserai passer un peu de temps afin de faire monter en vous une délicieuse excitation. Je commencerai alors à vous déshabiller en évitant de vous toucher là où vous aimeriez. J’adore exciter et ne pas satisfaire tout de suite. Je vous regarderai ainsi offerte et, sans que vous me voyiez, je me masturberai  devant vous avant de vous embrasser fougueusement. Je commencerai par le cou, les oreilles puis les seins, le ventre, je descendrai jusqu’aux chevilles avant de remonter et de finir dans l’entre jambes. Je vous lècherai, soyez en sûre, et introduirai en même temps un doigt puis deux en vous. Je vous travaillerai longuement et j’espère que vous jouirez. Alors, j’enlèverai votre bandeau. Vous me verrez enfin, nu et en érection. Alors, je vous appartiendrai corps et âme et vous pourrez faire de moi ce que vous voulez. Je ferai aussi de vous ce que je voudrais. »

Elle répond que, oui, elle est d’accord.